26 août 2007

Stéphane TARNIER

Le pionnier de l’obstétrique moderne…


Il naît à Aiserey, en Côte d’Or, le 29 avril 1828. Il est le fils d’un médecin de campagne qui exerce près de Dijon. Dans le sillage paternel, il commence ses études de médecine, puis vient à Paris où il est reçu au concours de l’Internat en 1852. Interne en obstétrique, il est bouleversé par les nombreuses infections mortelles frappant les jeunes accouchées. En 1857, dans sa thèse rapportant ses « Recherches sur l’état puerpéral et sur les maladies des femmes en couches », il ose proclamer contre la doctrine ambiante le caractère contagieux de la fièvre puerpérale. Cette thèse est discutée l’Académie de Médecine et le rend célèbre. Il est donc nommé Chef de Clinique à la Maternité de Port-Royal dont il devient Chirurgien-Accoucheur en chef en 1867. L’histoire de cet homme modeste et pondéré mais travailleur, imaginatif et déterminé peut alors commencer.


Tout d’abord, il lutte de façon décisive contre les infections puerpérales. Il réserve un pavillon aux accouchées saines alors que l’infirmerie est destinée aux femmes malades dont les soins sont assurés par un personnel distinct. Il impose également des mesures de propreté et d’antisepsie. Le résultat est spectaculaire avec une chute nette de la mortalité du post-partum. Au reste, l'intérêt de ces mesures avait déjà été souligné en 1847 par le hongrois Ignace-Philippe Semmelweis alors qu’il travaillait à Vienne. Il avait en effet démontré que bon nombre de ces infections était du à la contamination des femmes en couches par les mains souillées des étudiants en médecine après les dissections anatomiques. Malheureusement, loin de faire l’objet d’une reconnaissance unanime, il s’était heurté au conservatisme et à la vanité des praticiens éminents de l’époque. En ce temps où la notion de microbe était encore inconnue, ceux-ci avaient refusé d’admettre les faits et l’avaient révoqué. Désespéré, Semmelweis avait alors sombré dans une dépression et s’était suicidé à Budapest en 1865 à l’âge de 47 ans… Tarnier démontrera, avec Louis Pasteur et Joseph Lister, qu’il avait raison. En outre, le destin tragique de ce médecin visionnaire sera superbement raconté dans une thèse de Médecine soutenue en 1924 par un certain Louis-Ferdinand Destouches, mieux connu sous le nom de Céline…

Tarnier se consacre ensuite à l’art de la délivrance instrumentale. En effet, l’inventeur du forceps primitif était Pierre Chamberlen (1560-1631). Son instrument avait la forme d'une pince dont les cuillères courbées s'adaptaient à la tête fœtale. Mais le véritable trait de génie de Chamberlen avait été de séparer les deux branches de la pince afin de pouvoir les introduire séparément dans les voies génitales et de les articuler ensuite. Cependant, ce forceps s’avérait parfois inefficace, notamment si la tête était située au détroit supérieur. Le français, André Levret (1703-1880), ayant compris que ce forceps droit s'adaptait mal à la ligne courbe du bassin, avait donc fabriqué un forceps en ajoutant, à la courbure céphalique de Chamberlen, une seconde courbure dite pelvienne. Cette modification capitale permettait de mieux saisir la tête fœtale mais ça n’était pas encore parfait. En 1877, Tarnier ajoute alors aux « mains de fer » de Levret un système tracteur permettant d’exercer une force plus importante sur les cuillères tout en maintenant la traction dans l’axe du bassin. Il publie un mémoire qui a un grand retentissement. Il est notamment fait Docteur honoris causa en 1885, à Edimbourg, pour son « french forceps ».


Les jeunes mères ne sont pas les seules à bénéficier des inlassables recherches de Tarnier. Cet ingénieux investigateur s’intéresse également à l’hypothermie des prématurés. En effet, le seul remède a longtemps été de leur fournir de la chaleur à l'aide de laine ou de coton, ou de leur frictionner le corps, puis de les emmailloter avec de l’eau chaude dans leur berceau. Une étuve dans laquelle les enfants avaient leur corps réchauffé par la vapeur d'une eau mise en ébullition a ensuite été mise au point mais peu d'entre eux survivaient. Ce système primitif préfigurait cependant l’idée de la couveuse qui est reprise par Tarnier. En effet, il met au point un premier modèle à la fin des années 1880. L’expérience est peu concluante. Paul Bar rapporte qu'en essayant d'y faire couver des œufs de poule, ils n’ont pu obtenir que des œufs durs… Mais, fin 1881, le projet est au point et la première couveuse est mise en service à la Maternité.

Tarnier veille aussi à la nutrition des nouveaux-nés. En 1879, il achète deux chèvres et les enfants sont nourris à la cuillère ou directement au pis de l'animal. C'est un échec : tous les enfants périssent. Il expérimente donc le lait de vache. Une fois encore, les résultats sont décevants. Il ne se décourage pas et, en 1880, essaye le lait d'ânesse. Les résultats s’avèrent très satisfaisants mais le coût est élevé. Tarnier revient donc au lait de vache car il pense que les échecs antérieurs provenaient surtout des difficultés à conserver le lait qui venait de Province. De fait, en 1882, il fait l'acquisition d'une vache. Cette expérimentation connaît enfin le succès mais il n'y a qu'un animal alors qu'il faudrait une étable… La fin des années 1880 voit enfin le véritable essor en matière de nutrition infantile avec les découvertes de Pasteur, la stérilisation devenant alors la règle.


Tarnier publie de nombreux ouvrages. Il occupe la Chaire de Clinique Obstétricale. Son enseignement est précis, clair et humble. Il n’affirme rien sans l’avoir démontré. Adolphe Pinard dira de lui : « il était bon, courtois, généreux et désintéressé ». Un concours d’Accoucheurs des Hôpitaux est créé en 1882. Des Maternités sont ouvertes à la Charité, à Tenon, à Lariboisière et à Saint-Louis, et le nombre d’accouchements dans Paris triple entre 1880 et 1890. La Société Obstétricale de France est fondée en 1892. Sous l’influence de ce Chef d’Ecole incontesté et de ses nombreux élèves, l’obstétrique connaît alors un tournant sans précédant préfigurant l’obstétrique moderne.

L’activité débordante de cet homme resté célibataire lui vaut beaucoup d’honneurs. Il est Professeur d'Accouchements en 1884. Il est le Président de l'Académie Nationale de Médecine en 1891. Il prend la direction de la Clinique d’Accouchement érigée sur des terrains de la rue d'Assas à Paris. Il est fait commandeur de la Légion d'Honneur.


Ce pionnier meurt à Paris le 23 novembre 1897, à l’âge de 69 ans, d’une hémorragie digestive. Ses élèves le porteront au cimetière de Dijon où il repose désormais. Pierre Budin dira : « avec lui disparaît une des plus grandes figures médicales de notre temps ». Frédéric Mistral ajoutera « Le bâtisseur disparaît, le Temple demeure ». La Clinique d'Accouchement de la rue d’Assas deviendra la Clinique d'accouchement Tarnier. Deux rues portent son nom à Aiserey et à Dijon. Un superbe monument en son honneur est situé à l’angle de la rue d’Assas et de l’avenue de l’Observatoire à Paris.