29 octobre 2006

Charles NICOLLE

Le pastorien méconnu de Tunis…


Il naît à Rouen le 21 septembre 1866, sous le Second Empire, dans une famille aisée. Son père est médecin dans la capitale normande et enseigne l'histoire naturelle à l’École Supérieure des Arts. Il a deux frères dont l’aîné, Maurice, deviendra également médecin, microbiologiste réputé, Professeur à l’Institut Pasteur de Paris, puis Directeur de l’Institut du même nom à Istanbul. Charles fait ses études secondaires au lycée Corneille de Rouen.

Renonçant à des ambitions littéraires, il s’inscrit en médecine en 1884, dans l’intention de succéder à son père, et poursuit son cursus à Paris. Il y est nommé à l’Internat des Hôpitaux en 1889. Il est admis comme préparateur du cours d'anatomie pathologique de la Faculté, puis entre à l'Institut Pasteur. Il y croise le vieux « Maître » (Louis Pasteur s’éteindra en 1895) et Émile Roux lui enseigne que « la vérité est plus riche encore et plus belle que toutes les fables ». Il soutient sa thèse de Doctorat sur le chancre mou en 1893. De retour à Rouen, il est nommé Professeur des Chaires de Pathologie et de Clinique Médicale à l'École de Médecine, et devient Médecin des Hôpitaux en 1894. Il se marie en 1895 et a deux enfants qui seront tous deux médecins. Atteint de surdité, il s’oriente vers la recherche en laboratoire et plus précisément en microbiologie. Il prend ainsi la direction du laboratoire de bactériologie de l'Ecole de médecine de Rouen de 1894 à 1902. Cet inlassable chercheur parvient à inoculer la syphilis à des singes, diffuse le diagnostic bactériologique de la diphtérie dès sa mise au point par Fernand Widal, se lance dans la préparation du sérum anti-diphtérique qui vient d’être découvert par Émile Roux, participe très activement à la campagne contre la tuberculose et crée le premier sanatorium de la région rouennaise à Oissel. Il lutte également contre les maladies vénériennes. Toutefois, il échoue dans la création d’un centre d'enseignement de microbiologie et de recherches médicales à l'exemple de l'Institut Pasteur de Paris, et se heurte à l’hostilité jalouse et rétrograde de l’Administration des Hospices de Rouen. C’est alors que s’offre le poste vacant de la direction de l’Institut Pasteur de Tunis…


Ce savant enthousiaste, rigoureux et déterminé débarque donc en Afrique du Nord le 23 décembre 1902. C’est une date décisive de sa vie. Dans un monde médical bouleversé par la révolution pastorienne, il donne alors la pleine mesure de ses capacités en contribuant à la compréhension d’un pan entier de l’infectiologie et en menant de front une énorme tâche d'administrateur, de chercheur, de chef d'école, de militant de l'éducation sanitaire et de la prévention des maladies infectieuses. Pour commencer, il obtient que l’Institut, trop vétuste, soit reconstruit et mieux pourvu en équipements. Ensuite, il travaille entre autres sur la leishmaniose, la rickettsiose, le trachome, la brucellose, le paludisme… Il démontre que l'agent de la grippe est un virus filtrant qu’il dénomme « inframicrobe ». En 1908, il découvre le toxoplasme dans le sang du gondi qui est un petit rongeur du Sud tunisien. En 1909, il démontre le rôle du pou dans la transmission du typhus exanthématique. Il en déduit aussitôt les mesures prophylactiques adéquates dont l’application permet alors d’éradiquer de Tunis ce redoutable fléau épidémique et épargnera la vie de nombreux soldats des tranchées de la Grande Guerre. En un temps où les maladies se caractérisent entièrement par leurs symptômes, il comprend qu’un porteur asymptomatique peut être à l’origine d’une épidémie et développe ainsi le concept nouveau d’infection « inapparente ». Son enthousiasme, sa curiosité d'esprit, sa puissance de travail, ses capacités d’organisation, ta ténacité, son extraordinaire volonté de réussite font de l’Institut Pasteur de Tunis un centre de réputation mondiale où se forme une pléiade de savants.



Charles Nicolle reçoit le prix Osiris de l'Institut de France en 1927, et surtout, l’année suivante, le prix Nobel de Médecine pour ses travaux sur le typhus. Puis, il est nommé à l'Académie de Médecine, à l’Académie des Sciences et au Collège de France dans la chaire qu’avait occupée Claude Bernard. En 1934, il devient membre du Conseil scientifique de l'Institut Pasteur crée à la suite des décès d’Albert Calmette et d’Émile Roux. Il écrit naturellement plusieurs ouvrages médicaux mais, érudit et imaginatif, il écrit aussi pour son plaisir. Il publie ainsi quelques romans et nouvelles. Du reste, il se lie d’amitié avec l’écrivain Georges Duhamel, futur Académicien et également médecin.

Il meurt le 28 février 1936, à l’âge de 69 ans. Georges Duhamel dira : « Il mérite une grande gloire. Sa modestie seule l’a conduit à rechercher le silence ». Charles Nicolle a toujours été partagé entre son pays d’adoption et sa ville natale. Il l’est toujours, il repose en effet à Tunis dans l’Institut dont il fût l’âme admirable pendant trente-trois ans et l’Hôpital Général de Rouen porte son nom depuis 1953. Et sur sa tombe s’entrelacent un rameau d’olivier et une branche de pommier.